[vendredi 22 octobre 2010 à 09:20:38] Lu 368963 fois (345029 by ) PHOTOS /Reportage : La petite cabane au fin fond du quartier
Nordine et sa cabane à merguez
Il y a des rencontres qui sont plus étonnantes que d'autres. Celle avec Nordine est peu ordinaire. Il m'a accosté alors que je rentrais chez moi. Me voyant avec des appareils photo à la main, il a d'abord cru que j'étais journaliste. Il m'a expliqué ce qui venait de lui arriver, qui il était... Après une longue discussion, je lui ai promis de venir le voir le lendemain dans son univers. Chose promise, chose due...
Ce qui lui arrive n'est pas banal : depuis trois ans, il anime au grès de ses envies à Béligny, un quartier de la banlieue de Villefranche, un point de restauration mobile. On retrouve sa fourgonnette sur une place et y propose quelques merguez et brochettes. Vu le prix très bas (je n'ai jamais vu cela), son but est plus social qu'autre chose. Il l'avoue : cela permet aux habitants du quartier de se retrouver là, de créer un peu d'animation dans un quartier excentré et à la mauvaise réputation. Qu'importe, il faut savoir regarder devant... Nordine sait de quoi il parle. Ex-taulard, il a tourné depuis longtemps les pages sombres de sa vie. Soudeur de formation, il a été contraint il y a quelques années de mettre sa petite entreprise en sommeil. Depuis, il s'adonne à ce qu'il adore le plus : exercer un rôle social dans le quartier.
Une situation ambigüe mais populaire dans le quartier
En forme de reconnaissance, un élu de la ville, Mr Bernard Clausel - par ailleurs, mon ex-voisin, aujourd'hui disparu - avait toléré depuis 3 ans l'activité de restauration peu conventionnelle de Nordine.
Hélas, sa petite fourgonnette a récemment rendu l'âme. Il a alors monté - en toute illégalité et en une nuit, avec l'aide des habitants - une cabane de jardin ce qui n'a pas manqué d'attiré l'attention de la municipalité ; en toute logique, elle lui a ordonné de démonter son installation avant la fin de la semaine.
Nordine est conscient du risque qu'il a pris et accepte - à contre cœur - cette décision. Comme il le dit, c'était aussi un moyen de faire réagir la ville sur sa situation de précarité, de leur montrer que son petit point restauration merguez/brochette était utile pour l'animation du quartier. Il est vrai que dès qu'il commence à installer son petit stand, les gens commencent à affluer çà et là. On y retrouve des résidents, des habitués, aussi bien que des gens de passage, la route de Frans étant un lieu à très forte circulation.
Comme auparavant, son installation tient du système D. Pas d'électricité, même le point d'eau public situé à quelques mètres a été coupé. Qu'importe. De l'eau en bouteille fera l'affaire. De toutes façons, le barbecue n'a pas besoin d'électricité pour fonctionner. Tout le monde met la main à la patte : pendant que Nordine arrive avec sa glacière et quelques boissons, un ami ou deux l'aide à sortir ses tables et à donner un coup de balai sur la place tandis que le boss nettoie ses plans de travail et alimente en charbon son foyer.
Une semaine et puis s'en va...
Je l'ai donc rejoint aujourd'hui pour un ultime service, histoire d'immortaliser cette insolite cabane en bois dans un quartier tout béton. C'est aussi pour moi l'occasion de comprendre comment un simple vendeur de merguez, une personne de bonne volonté, peut à lui seul jouer le rôle d'agent de cohésion sociale dans un quartier excentré et difficile... la zone quoi.
Nordine m'a préparé sa spécialité : un MIX, un sandwich à la fois merguez et brochettes, avec de la salade, tomate et mayo/harissa et une demie-baguette croustillante. On a laissé les piments, trop forts, pour la déco. Ceux qui s'y sont risqués sont partis pliés en deux. Wouarf. Moi, sous les rayons bienfaiteurs du soleil, je me suis régalé
(trop forts les piments !!!)
J'ai même eu droit à la préparation du thé sur la braise...
Le barbecue a donc crépité pour la dernière fois...
Nordine n'a pas les moyens de s'acheter un nouveau camion. Tous espèrent seulement qu'une âme charitable lui permettra de remplacer son ancien véhicule afin qu'il puisse de nouveau animer et embaumer le quartier de Béligny de ses odeurs de grillades et d'épices...
Pour moi, Nordine est resté soudeur dans l'âme... un soudeur social, un soudeur d'êtres humains.
NB : si quelqu'un souhaite se débarrasser d'un camion fourgonnette pour pas trop cher, type IVECO... laissez-moi un message