[dimanche 23 octobre 2011 à 15:36:37] Lu 310030 fois (287427 by ) ACTUS /Toute photographie n'est pas une oeuvre...
Je me permet de réagir à une dépêche AFP parue ce vendredi suite à un arrêt rendu par la cour de cassation. Vu les réactions provoquées çà et là par certains photographes, il convient peut-être de prendre un peu de recul et d'apporter un nouvel éclairage à ce qui semble être au premier abord une injustice et surtout un abus de l'application des droits d'auteur.
Tout part d'une dépêche de l'AFP.
Elle révèle sous le titre accrocheur "Toute photographie n'est pas une 'oeuvre'" qu'un photographe s'est vu débouté par la Cour Civile de Cassation (arrêt N°995 du 20 octobre 2011) alors que celui-ci réclamait des droits d'auteur sur une photo.
Faire une photographie, ce n'est pas nécessairement, selon la justice, réaliser une oeuvre originale qui créerait des droits d'auteur.
Toute photo ne permet donc pas à son auteur d'engager une procédure en contrefaçon en cas de reproduction sans autorisation, a dit la Cour de cassation.
Si la photo ne révèle pas de recherche esthétique, il s'agit seulement d'un travail révélant un savoir-faire et non d'une "oeuvre de l'esprit", explique la Cour, en ajoutant que les juges sont souverains pour apprécier s'il s'agit de l'un ou de l'autre.
Un photographe, qui se plaignait d'avoir retrouvé son travail dans un magazine, a été débouté car les juges ont considéré que ce n'était pas une "oeuvre de l'esprit". Alors que le photographe décrivait longuement sa photo comme représentant deux galinettes disposées et éclairées avec recherche dans une assiette aux couleurs choisies pour évoquer la cuisine marseillaise, les juges n'ont vu que "deux poissons dans une assiette provençale". Ils ont conclu qu'il n'y avait qu'un travail technique, ce qui ne permettait pas à l'auteur de s'opposer à une diffusion au nom d'un droit d'auteur.
Source AFP
Plusieurs photographes ont alors réagi activement à cette nouvelle. Plusieurs blogs photos se sont mis en bernes et des forums ont commencé à débattre du sujet épineux comme "Une photo est-elle une œuvre ?" ou encore "Des juges peuvent-ils mettre en péril les droits d'auteur d'un photographe sur leur simple appréciation ?"
Une dépêche qui semble mal rédigée
Toutefois, je me suis permis de relire attentivement l'article en prenant soin de détacher certains mots ou incohérence. C'était tout aussi important que j'ai souligné que nous manquions d'éléments (source du jugement, titre du magazine, identité du plaignant et image de la photo) pour bien comprendre de quoi on parlait. Personnellement, en me détachant de l'aspect passionnel du sujet, je me suis rendu compte qu'il s'agissait probablement d'un autre problème.
Voici cependant ma propre interprétation.
Visiblement, Mr "M" (photographe, et non le célèbre chanteur-compositeur... fallait trouver une lettre donc...) a découvert qu'un magazine avait contrefait une de ses photos. Il a décidé de réclamer des droits d'auteur. Pour cela, il a entamé une procédure contre l'éditeur en expliquant que ce n'était ni plus ni moins que le plagiat d'une œuvre (la sienne). Sauf que... sauf que pour que l'on puisse estimer que sa photo a été contrefaite, il faut démontrer au préalable le caractère "unique" de l'œuvre originale (d'où le terme "d'œuvre" à requalifier dans le cas présent).
J'ai retenu cette interprétation de la dépêche grâce à deux éléments :
1) on parle bien de deux photos : les juges parlent d'une photo représentant "deux poissons dans une assiette provençale" et le plaignant de "deux galinettes disposées et éclairées avec recherche dans une assiette aux couleurs choisies pour évoquer la cuisine marseillaise". On parle de poulets et de poissons ! Dur de confondre les deux non ? [CORRECTIF] La galinette est une sorte de rouget... donc bien un poisson !
2) en début d'article, on parle de "contrefaçon". La contrefaçon touche également les cas de copie d'une œuvre originale sans autorisation. C'est le cas des foulards "Hermès", sacs ou parfums de grandes marques que l'on trouve bon marché çà et là...
Que penser de cet arrêt ?
Il est vrai - pour reprendre le fond du problème - que la qualification d'œuvre est souvent délicate. On peut bien sûr se ranger du côté du photographe en prétendant qu'il est injuste qu'il se soit fait copier une composition, aussi originale soit-elle ! Personnellement, cela m'est arrivé plusieurs fois. Assez récemment, un magazine local (dont je tairai le nom ) a - la première année - utilisé une vingtaine de mes photos pour illustrer un guide local. L'année suivante, afin de ne pas me verser de droits et éviter tout problème à venir, il a lui même reproduit l'ensemble des clichés sous le même angle et le même cadrage. J'ai trouvé cela mesquin. Mais bon... Aurai-je dû l'attaquer pour "contrefaçon" ? Bien sûr que non. Je suis conscient que mes clichés n'ont pas ici un caractère artistique unique. Techniquement parlant, nous ne jouons pas dans la même cour, c'est indéniable. Mais je ne peux interdire quelqu'un de s'inspirer de mon travail.
De là, on peut s'interroger sur la valeur à donner sur son travail : doit-on dire que tout travail photographique est une œuvre ?
Personnellement, je ne le crois pas. Ce serait d'ailleurs dangereux pour chacun d'entre nous, et particulièrement pour nous même, les photographes professionnels ou amateurs confirmés. Ce genre de raisonnement pourrait se retourner facilement contre nous : qui de nous n'a pas tenté de copier l'autre dans une pose, un cadrage, un genre. Imaginez alors les procès en cascade que nous pourrions nous faire les uns contre les autres, les demandes droits d'auteur qui pourraient pleuvoir... !!! On n'en finirait certainement pas.
Pour conclure, je pense qu'il va falloir attendre lundi (donc demain) pour obtenir plus d'éléments et se faire une idée plus précise sur le sens à donner à cette procédure.
D'ici là, il faut raison garder.
Sur ce, je vous autorise à copier ce lien pour faire circuler l'information...
[EDIT] Autre point important
Cette phrase "../.. ce qui ne permettait pas à l'auteur de s'opposer à une diffusion au nom d'un droit d'auteur." signifierait qu'il n'a pas forcément été dépossédé de ses droits d'auteur, mais qu'il souhaitait tout simplement interdire la diffusion de sa photo. Enfin, c'est ce que l'on peut comprendre en conclusion.
Franchement, tout çà n'est pas très clair...
Le fond de l'affaire me semble plus complexe qu'il n'y parait.
Attendons la parution de l'acte par la cour de cassation sur son site internet.
1 - De "Clovis", le lundi 24 octobre 2011 à 04:04:09
De source sûre, j'ai eu la confirmation que cette affaire concerne une utilisation non autorisé de la photographie dans un magazine, sans l'accord de l'auteur, qui constitue aussi une contrefaçon :
Article L122-4 du CPI :
"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque."
Article L335-3 du CPI :
"Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi.[…]"
2 - De "Dominik (le webmaster)", le lundi 24 octobre 2011 à 10:10:07
Merci Clovis.
Alors pourquoi les juges auraient confondu des poulets et des poissons ?
Peux-tu alors donner plus d'info sur le nom du magazine, le photographe STP ? Merci.
3 - De "Dominik (le webmaster)", le lundi 24 octobre 2011 à 10:11:50
Merde, la galinette est bien un poisson !
4 - De "Dominik (le webmaster)", le lundi 24 octobre 2011 à 10:30:20
Clovis, plusieurs points restent néanmoins obscurs :
1) comment le magazine s'est procurée l'image (important de la savoir, histoire de comprendre par quel canal il a pu permettre l'édition de cette image, et surtout s'il y avait des mentions liées à l'image comme des copyrights, ou une distribution en CC )
2) Ce photographe est-il un professionnel ? Et si oui, pourquoi n'a t'il pas été défendu par l'UPP ?
3) Pourquoi une cour de cassation civile ? Logiquement, c'est qu'il y a déjà eu un précédent jugement négatif et que le plaignant a souhaité tenter un recours. Ou est ce premier jugement ?